Je viens de voir «Zabriskie Point», un film d’Antonioni de 1970, dont une grande partie a été tournée dans le désert californien (dans la Vallée de la Mort plus exactement). Le décor est un lieu réel, un lieu que j’ai traversé en novembre dernier.
Le film me fait aussi penser à «Gerry», de Gus Van Sant, où là aussi les grands espaces constituent le décor principal.
Dans les deux films, les grands espaces sont bien plus qu’un décor, ce sont des espaces symboliques, des espaces qui sont opposés à l’homme ou à la civilisation moderne, des lieux de perditions ou des lieux d’accomplissement.
Opposer des lieux réels, que j’ai vu moi-même, à des images cinématographiques tournées dans ces lieux, me fait entamer cette réflexion, au moment où mon désir de faire des images grandit tout doucement de jour en jour, et que je commence à y répondre en faisant un peu de photographie.
Ce qui m’intéresse pour l’instant c’est l’image en tant qu’elle capte le réel, et non en tant qu’elle le reconstitue ou le déforme.
Ici, le cadre, la lumière, les différentes valeurs de plan peuvent alors mettre l’accent sur un élément, le souligner, l’isoler.
Je prends l'exemple d’un premier plan flou et d’un élément net plus à l'arrière. Là je peux montrer un élément que je ne vois pas au premier abord dans l'espace qui est devant moi, que je ne vois pas si je ne l’observe pas de manière ouverte, sans préjugés, sans oublier d’abord le fait que je suis en train de regarder.
C’est bien cela qui m’intéresse, l’image en cela qu’elle reflète ma capacité à regarder quelque chose, une chose réelle, qui existe en soi, hors de moi.
Ce disant je comprends tout à coup que ce que je vais isoler, par le cadre, la mise au point et la lumière, ce sera tout de même ce que mon œil voit. Une autre personne ne verra peut-être pas ce que je vois et isolera autre chose. L’interaction entre moi-même et ce que je regarde est donc inéluctable, l’objectivité du regard n’existe pas, ni celle, par extension, de ce que je suis en train de regarder.
Je peux faire l’analogie avec ce que j’ai traversé dans mon analyse. Je suis un peu réticent à livrer cela ici, mais je le fais, dans une intention de témoignage, j'espère sans complaisance.
Il s'agit du rapport entre moi et l'autre, l'autre étant ici celui avec lequel le désir est engagé.
Jusqu'à présent l'autre était un objet, écranté ou barré par l’image, celle que je voyais de lui, ou celle que je voyais de moi dans son regard, l’autre étant alors une réflexion de moi-même. Ou bien j'étais sous le regard de l’autre, à savoir que son regard devenait prééminent à sa présence même. D’une certaine manière il n’existait pas.
Aujourd'hui, ayant mis en lumière tout cela, l'image tombe, le regard ne domine plus, l’autre apparaît, dans son altérité, il s'incarne de manière objective, il existe en soi, pourrais-je penser d'abord.
Néanmoins je comprend, puisque je viens de constater d’une part l’évidente subjectivité du regard face à un espace, face à une image, et d’autre part l’évidente subjectivité de la chose regardée, je comprend donc que l’autre, quand enfin il existe, ne devient pas pour autant une entité abstraite, objective, une chose étrangère, toujours un peu menaçante. L'autre n'est décidément pas un objet. Ce n'est pas parce qu'il n'est plus barré par mon regard qu'il peut exister hors de mon regard. Ce n’est pas parce que son regard tombe que je peux le dissocier de son regard singulier.
L'autre existe, j'existe aussi, nous coexistons, et nos relations sont faites des compromis que chacun de nous pouvons et devons faire.
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